vendredi 30 novembre 2012

Le balayage des rues à Ouaga

Article paru dans 20 minutes, en avril 2011

Le ciel, ce matin-là, est blanc poussière. Comme souvent à Ouagadougou les mois de l'harmattan. L'incessante circulation des deux roues de la capitale burkinabè n'est pas encore à son comble. Il est à peine 7h et depuis une heure déjà, Sawadra Abidou joue de son balais sur la chaussée. «Je viens nettoyer deux matinées par semaine», raconte la vieille femme avant de réajuster sa blouse couleur d'émeraude. Un uniforme qui l'identifie à coup sûr: Sawadra appartient aux brigades vertes. Une armée de 2.000 femmes qui nettoie les 320 km de rues goudronnées de la ville.

«Ici, on les appelle les femmes de Simon, glisse malicieusement un passant. Du nom du maire, Simon Compaore.» C'est lui qui a mis en place ce service de nettoyage en 1995. «Ces femmes faisaient parties des plus pauvres, rappelle Sidi Mahamadou Cissé, adjoint au maire en charge de la propreté de la ville. Elles ravinaient les sols pour revendre les graviers sur le marché: c'était catastrophique au moment des inondations. Pour qu'elles arrêtent, on leur a proposé de les payer à nettoyer les rues.»
Les débuts ont été difficiles. «Les habitants ne voyaient pas l'intérêt de ce travail, concède Dieudonné Caboré, contrôleur auprès des brigades vertes. Les femmes étaient même traitées de sorcières.» Aujourd'hui, pas un Ouagalais ne remettrait en cause le mérite des balayeuses. A trois reprises, elles ont permis à la ville de remporter des prix internationaux et sa propreté est désormais reconnue sur tout le continent.

Une satisfaction pour la mairie. «Mais pour nous la question de la propreté est d'abord une affaire sociale, reprend Sidi Mahamadou Cissé. Notre réussite est de lutter contre la pauvreté en donnant un travail d'appoint à ces femmes.» Chaque balayeuse reçoit 1.500 francs CFA par matinée de travail, soit 18 euros par mois. C'est peu, comparé aux risques encourus à balayer au milieu de la circulation, mais pour Sawadra, c'est déjà beaucoup. «C'est un complément qui me permet de payer la scolarité des enfants.»
C'est surtout l'espoir d'un avenir meilleur. A quelques kilomètres de là, les mêmes blouses vertes se détachent d'un océan de détritus. Ouvert en 2005, le centre d'enfouissement des déchets de Ouagadougou est encore flambant neuf. La quasi totalité des 300.000 tonnes de déchets annuels des habitants de la capitale y est réceptionnée et triée. 6% d'entre eux sont même recyclés... par les femmes de Simon.
«Les balayeuses les plus méritantes sont embauchées pour transformer les plastiques en kits scolaires, chaises ou pavés pour la chaussée, précise Justin Compaore, responsable du centre. Grâce à elles, la décharge réalise un chiffre d'affaires de 23.000 euros.» 45 femmes y travaillent pour un salaire mensuel de 30.000 francs CFA (45 euros). Une promotion inespérée pour Marguerite: «En Afrique, les filles font rarement des études. Nous dépendons de nos maris.» Les deux mains dans un tas de bouteille en plastique, elle souffle, fièrement: «Ce travail, c'est aussi un début de liberté.»
A Ouagadougou, Tiphaine Réto et Sébastien Tranchant

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire